lundi 30 mai 2011

"Méditation" pastel d'Odilon Redon

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Quand le pastel est aussi bien approprié au dessin qu’à la peinture



« Méditation » pastel de Odilon Redon. Non daté, signature en bas à gauche. 46,5 x 55,5 cm. 
Collection privée. Source : The Athenaeum


Bouquet bondissant

A première vue, « Méditation », pastel d’Odilon Redon ressemble à une image pieuse, ensemencée de bleus qui mettent en valeur des couleurs de gourmandise à la Matisse. Essaimé, les bleus, déclinés en aplats à peine estompés ou carrément lissés de brillance, suspendus à de rêveuses hachures, de gros flocons saturés, laissent entrevoir la trame du support papier gris neutre ou blanc à l’origine, comme une respiration surgie des profondeurs, cette bonté de remontée aérée des fonds, spécifique à l’art du pastel. Au centre de la composition, un bouquet de fleurs champêtres, éclatant de l’énergie forte des pigments, semble vouloir quitter le vase qui le porte, posé sur une apparence de table. Vase ventru, dont le traitement aux balafres laquées, fait tourner la sous-couche de pastel noir au bleu émaillé. Du sucre d’orge à rayures circule en lames de feu dans les fleurs, papillonnant oiseaux de paradis qui échappent du vase en toutes directions tandis que des chatons d’avril montent aux yeux.


Autant le bouquet bouge, autant le personnage, hiératique, coincé à droite du dessin entre le liseré rigide du voile qui lui couvre la tête et une bande de couleur légère, parallèle à la bordure du support papier, (qui rappelle les ajouts de Degas pour agrandir une surface, bien qu’ici cette structure semble plutôt en rétrécir le champ) ressemble à une Sainte Femme, cloisonnée dans un vitrail, isolée dans ses pensées. Son profil est dessiné d’un trait, à la manière d’une synopie de fresque du Quattrocento ; le visage, légèrement poudré de pastel mauve qui se répand en auréoles ternes de-ci de-là, est recueilli. Personnage en méditation sur le passé, la briéveté et la finalité de la vie ? Nostalgie de la jeunesse solitaire de l’artiste dans la campagne de Peyrelebade ; douleur de la perte d’un enfant ?


Des traits vifs à main levée, affilés, comme tracés à la plume, de la même hardiesse que le contour du visage et de la même veine que l’approche des contours de la tête du personnage, de la panse du vase, forment le lacis nerveux du dessin premier, brindilles et tiges véloces à fleur du pastel qui les recouvre. Le dessin du voile, lui, n’est pas primesautier. La texture transparente semble capturer des boucles blondes, dentelles de fleurs inertes aux contours sépia. Est-ce la plume (ou du crayon) qui sur-impressionne l’aplat de poudre jaune ou vice-versa ? La partie du voile tombant sur les épaules participe de la clarté du manteau dont les fines hachures blanches ont à leur tour participé de la sous-couche du fond bleu qui, de la sorte, les moire. Le galon de finition se dote d’un relief de dorure ecclésiastique, poudre ensoleillée perlée sur un réseau de lignes comme façonnées à la plume. Sur l'omoplate, le voile prend un aspect damassé propice à fantasmagorie, cette inclinaison spécifique à l’esprit d’Odilon Redon, ici liant de l’oeuvre qui juxtapose l'immobilité à la dynamique, le précieux au champêtre, le spirituel au matériel. Dans la foulée des apparitions, un fantôme de fleur blanche semble chatouiller l'épaule du personnage comme un lien de rattachement. Si on y voit que du bleu dans ce pastel au premier abord, ne serait-ce pas l’expression directe d’un coup de blues de l’artiste ?





Pastel publié avec l’aimable autorisation de
Jean-Jacques Lechantdupain





Cet article est publié dans le Blog Pastel du site de la Tribu des Artistes


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dimanche 6 juin 2010

Commentaires sur un pastel de Liliane





                                                    
La jungle, pastel de Liliane


Liliane :

J'ai ressorti un ancien pastel que j'avais créé pour une expo sur le thème de la jungle, je ne le trouvais pas formidable, mais je viens de voir sur le magazine "Match" un article sur "chercheurs d'art" : il y a un peintre qui a fait un tableau sur la jungle c'est Mostyn Owen 2009 voir : http://www.polad-hardouin.com/
Son tableau est "tagereste" 0rlando. Cela m'a fait me souvenir que j'avais fait ce petit pastel sur la jungle et qu'après tout, il n'était peut-être pas si mal. Il est réalisé sur un papier Canson vert foncé 24 x 32


Marie-Lydie Joffre :

Comme une illustration de livre pour enfant…

Pastel plein de gaieté vert aquarium, traversée d’une rivière en diagonale ponctuée de cinq bouquets de fruits rouges, et voilà que les saveurs de l’enfance enfouies comme oeufs de Pâques au jardin des mystères, remontent aussitôt à la surface de l’eau.

La souplesse, la tendresse, le velouté des textures du pastel s'exercent ici. Très peu de poudre semée. Regardez le pastel respirer lorsque la couleur vert olive du support papier transparaît aux endroits réservés. Il faut si peu de pulpeuse poudre pour dire beaucoup !

La couleur estompée, quant à elle, joue des sonorités moites de la poudre transformée sous la glissade des doigts, et contraste avec les tonalités vivaces du pigment non altéré.

A droite, dans la partie ombrée, des réseaux au pastel noir laissent deviner la couleur estompée du fond à travers maille. Un frottis délicat d’arabesques vert tendre auréolé d’un reflet bleu d’eau, joue les complémentaires avec une traînée de terre rose enfouie dans le noir laquelle engendre un rameau de fruits rouge épaissi de clarté. Toutes teintes d’autant plus lumineuses qu’elles sont ceinturées de sombre. Une lumière de sous-bois posée sur le fond délicatement estompé, semble tracée aux rayons arachnéens sortis de la tranche du bâtonnet de pastel.

Contrastes de matière gourmands. Touches fraîches rouge fraise, rose bonbon, rouge orangé, tentations que ces baies essaimées dans les coins sombres ! Pendue à l’arbre, une grappe fruitée, sorte d’hippocampe vermillon, frottée en épaisseur fait penser aux fonds marins. Une pointe de jaune soufre prend feu auprès de la sombre bûche qui prend l’eau. Mystère que cette bûche dont on aurait taillé sommairement une sorte de Christ qui semble reposer en lévitation sur l’eau ! Une plante mauve carnivore s’apprête à se désaltérer à la rivière, sous le regard du petit oiseau haut perché dans les méandres d'enroulements habités de figures totémiques ; et l’évocation de la barque déjà propulsée vers d’autres contrées ouvre au rêve le confinement de jungle.

Exploration du pastel dans une gamme ludique de tracés, de stries massives en volutes dansantes, d'aplats feutrés de secrets pollens en envolées de feuilles, point de fuite de la subtile poudre (angle en haut à gauche)






liliane.peint@orange.fr











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dimanche 23 août 2009

Peut-on réaliser une oeuvre aux crayons pastel uniquement ?


Réponses aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)



7 - Peut-on réaliser une oeuvre aux crayons pastel uniquement ?

On peut réaliser une œuvre avec tout matériau !
C’est la manière dont l’artiste communique avec le matériau, comme l’écrivain avec les mots, qui fonde l’oeuvre !
Plus le matériau est sommaire ou paraît contre-indiqué, plus l’œuvre est potentiellement inventive face au défi ! Un matériau trop abouti pourrait, à la limite, inhiber l’artiste, par exemple une qualité de peinture à l’huile extra fine !

Les limites techniques du crayon pastel sont : texture plate, faible contraste, coloris ternes. Ainsi ce crayon évoque-t-il des sonorités sourdes, le calme, la discrétion et il y a là, de quoi bâtir tout un monde et au-delà !
A la façon de tout crayon, le crayon pastel se révèle plus efficient dans le graphisme, le trait de dessin qu’en aplat. La superposition d’aplats se trouble rapidement car l’opacité du matériau et ses couleurs non miscibles, font chuter les tonalités. En revanche deux superpositions légères font bon alliage de tonalités tendres et feutrées. Un rose et un gris subtilement superposés, par exemple, peuvent prendre l’aspect grenu d’un tissu de tweed ; ceci grâce aux mailles de la matière poreuse du crayon pastel qui fait remonter la clarté du support à travers la couleur.
En monochromie ou bichromie, le crayon pastel décliné sous toutes ses facettes, traits, superposition de traits ou d’aplats ou estompe, offre la douceur d’une texture laineuse.

Sur un grand format, le crayon exigera de la minutie pour couvrir la surface aux petits points, pour ainsi dire ! Travail qui pourrait être révélateur de constance et faire prendre conscience à l’artiste des potentialités de son tempérament, plus réfléchi que spontané, plus dessinateur que peintre, coloriste ou valoriste...

Les œuvres réalisées au crayon pastel apprécient l’alliage d’autres matériaux.
L’apport de techniques mixtes enrichit le crayon pastel au niveau des contrastes. Les crayons Conté fusain, sépia, sanguine produisent de chaleureuses vibrations, les crayons Conté pierre noire (à base de schiste) et carbone modulent et approfondissent les tons. Penser aussi à la gamme des craies « carrés Conté » dont les coloris sont plus intenses et liants que ceux des crayons, et qui permettent des traits précis et une manipulation à fleur de peau, puisque les bâtonnets ne sont pas gainés.

Ne pas oublier l’apport du crayon graphite. Surimposé au crayon pastel, il structure d’un trait argenté, modulé du gris clair au gris très foncé, le côté parfois fade du crayon pastel tout en accrochant bien à sa surface. Le graphite a une bonne stabilité du fait de sa texture quelque peu grasse.


8 - Quelle en est la qualité des pigments ?

Le crayon pastel est composé à la base des mêmes pigments que le bâtonnet de pastel sec. Mais la qualité des pigments est soumise à la compression et à la part des adjuvants (argile, craie, gomme arabique) utilisés pour que la mine du crayon reste ferme et ne libère pas trop de poudre. Les crayons pastel « Conté » contiennent de l’argile.

Le tracé du crayon pastel produit une poudre sèche et légèrement sablée mais qui adhère bien au support. La touche est un peu rugueuse.
Un tracé léger engendre une couleur non homogène participant ainsi de la couleur du support. Par exemple un trait de crayon pastel gris n° 33 tracé sur papier blanc, sera moucheté de blanc donc aura un aspect gris clair. Si la pression sur le crayon est forte, le gris sera foncé. La pression exercée sur le crayon permet de décliner les valeurs de la plus claire à la plus sombre.
La texture du trait, aplatie et un peu éteinte, ne présente pas, bien sûr, le grain aérien qui donne son souffle, sa luminosité au pastel sec.


9 - Je travaille exclusivement avec des crayons de couleur et j'ai tendance sans doute à rechercher le même résultat avec le pastel...

La technique minutieuse du crayon de couleur appliquée au pastel ne peut qu’être bénéfique ! Là, on se rapproche la tradition graphique des pastels « brindillés » d’artistes comme Millet, Degas ou Sérusier

La chorégraphie des traits et des tracés, l’onctuosité, les estompages, l’ampleur du pastel sec, sa luminosité vous ouvriront de nouvelles dimensions. Et qui sait si un passage par le biais du pastel ne favoriserait-il pas un retour magnifié aux crayons ? Le pastel, matériau brut, est une technique de base, et de ce fait un tremplin à la curiosité !


Voici quelques premières questions que je me pose et qui me font hésiter à me lancer.

Si le pastel vous questionne, c’est qu’il vous fait signe. L’appel d’un matériau est le facteur déterminant à de bonnes relations ! C’est en se mesurant au matériau qu’on en perçoit les potentialités, clartés comme obscurités, qui font comprendre la matière. Seule l’oeuvre en cours de réalisation est formatrice, à l’instar de toute expérience.












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vendredi 24 juillet 2009

Le pastel et les détails



Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)

....et pourtant j'ai déjà vu des réalisations très détaillées (les crayons pastel ou les craies sont certainement les outils qu'il faut pour les détails)


Le pastel se prête aux détails en fonction de la technique de l’artiste. Par exemple si les couches de pastel sont fines ou estompées elles accueilleront convenablement tout complément de poudre. Si la surface est travaillée aux traits, elle fera naître tout naturellement des détails fondés sur la superposition des couches en réseau. La fixation du pastel, bien entendu, permet des réalisations très détaillées. Quentin de la Tour atteint des sommets de virtuosité dans les détails de matière et de texture, cf. ci-dessous le portrait au pastel de Madame de Pompadour. Format 1,75 x 1,28 m. La composition du fixatif de très bonne qualité utilisé par le pastelliste n’est pas connue.

Par ailleurs, il y a des alternatives, des dialogues d'artiste avec son matériau pour nourrir son oeuvre de foisonnement sans forcément accumuler les détails. Cf. le pastel de Vuillard, place Vintimille : dans le grain de la poudre rapidement dispersée, dans la facture de la poudre du bâtonnet qui diffuse ou qui se fait poreuse comme du cartilage, on peut imaginer des frémissements de matière toujours renouvelés. L’impétuosité des traits parvient à nourrir, enrichir le pastel comme s’il était très circonstancié ! Les extrêmes se rejoignent parfois !




En outre, le recours à des techniques mixtes (techniques mixtes = utilisation de plus d’une seule technique pour la réalisation d’une œuvre) enrichit le pastel et par conséquent conforte les détails. Voir ci-dessous des exemples de pastel travaillés avec gouache, craie, crayon

La gouache
La technique des dessins de la Renaissance à la sanguine ou à la pierre noire, rehaussés de gouache, sied au pastel. Des rehauts de peinture au trait émaillent les pastels du XVIIIe siècle. Rosalba Carriera, une des premières portraitistes, donne relief à tel détail lissé de ses pastels très estompés, ornements d’un décolleté ou d’une cravate, au moyen d'éclats de gouache blanche.



Portrait de Gustavus Hamilton, 2e Vicomte Boyne par Rosalba Carriera. 1730 – 1731. Pastel sur papier marouflé sur toile. 42,9 x 56,5 cm.


Les craies
Les craies légèrement grasses, comme la sanguine ou le graphite, adhèrent bien au pastel. De plus le trait acéré sur la pointe ou l’arête du bâtonnet de craie se prête à la finesse des détails.

Les crayons
En principe les traits au crayon sont un bon complément structurel à l’indécision de la poudre de pastel. Les crayons pastel manquent un peu de corps et de contraste pour le tracé de détails précis. Le crayon noir est plus résolu.




MILLET La méridienne, 1866. Crayon noir et pastel sur papier Vergé. 29.2 x 42 cm. Museum of Fine Arts, Boston. Propriétaire Don Quincy Adams Shaw.

Beaux contrastes à la luminosité, les ombrages, approfondis de lignes au crayon noir. Cliquer sur l'image pour l'agrandir





Paul SERUSIER Paysage, 1912. Crayons de couleur et pastel sur papier gris.

L’alliage des crayons de couleur et des pastels sur papier gris procure une grande douceur à l’œuvre donnant ferveur à la dynamique des tracés affilés des herbes et frondaisons. Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Conclusion
Les détails au pastel conservent l'esprit singulier du matériau. Au pastel, l'indécision ! La couleur qui paraît être en lévitation, insuffle aux oeuvres une sorte de distance de noblesse. La poudre est bien là, dans l'intimité de sa sensualité, mais en même temps elle reste secrète, distante, un peu réfractaire à la précision ; velours de la fugacité du rêve, elle papillonne vers un ailleurs subtil à la manière de la poussière dans un rayon de soleil...







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vendredi 8 mai 2009

Le pastel : art d’une image approximative peu détaillée ?

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)
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"...De plus, j'ai l'impression que le pastel est un art d'une image approximative, peu détaillée. Plutôt un travail en grandes masses de couleurs"
Le pastel étant composé de poudre, sa texture est mouvante, délicate, voire indécise. De plus, la charge de craie qui aide à dégrader les coloris des pigments confère aux pastels des nuances douces et d’autant plus pâles que la charge aura été importante. Nuances fines, luminosités suaves et souvent des surfaces estompées peuvent conférer au pastel une impression d’approximation.

Les pastellistes du XVIIIe siècle ont beaucoup usé du côté vaporeux du pastel estompé. Les artistes symbolistes aussi. A première vue, le pastel se perçoit de façon sensuelle ; on ressent d’abord la douceur, la sensualité, le velours des grandes masses de couleur. Il émane des pastels une impression de recueillement, de sourdes sonorités de l’intimité, quelque chose de diffus et parfois fugitif, de l’ordre de l’éphémère. Les détails étant plus ressentis que réalistes.

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Du manque de repère, de nombreux artistes ont fait le support de leur inquiétude. Les Symbolistes par exemple pour suggérer le monde secret d’une vie intérieure.



Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953)
Calanque, 6 heures du soir, 1936
Pastel - 66 x 91 cm
Paris, Musée d'Orsay
Photo : Musée d'Orsay

Mais en définitive, et comme tout médium pictural, c’est la manière dont il est traité par l'artiste qui induit le caractère du versatile pastel. Exécuté sous forme graphique par exemple, le pastel gagne en vigueur, en rigueur.
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Peter Stämpfli
Record 1980, Pastel
Fond régional d’art contemporain de Picardie











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dimanche 4 janvier 2009

Comment superposer les couches de pastel sans les fixer ? (2)

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)


La créativité de l’artiste

Si en art, l’aspect technique (c’est-à-dire la façon de faire) peut être transmis, dans les limites de ses possibilités toutefois, reste surtout ce qui est insaisissable et pourtant essentiel, la vision de l’artiste, cette dynamique créative qui l’aide à sonder le matériau, et partant à s’exprimer.

C’est à la faveur de l’œuvre réalisée que l’on peut tenter d’analyser comment l’artiste est parvenu à apprivoiser la matière, jusqu’à la transgresser !
Les interprétations subjectives, suggérées par les œuvres, ont la capacité d’approcher un peu du mystère de la création.

Ci-dessous observation d’un pastel de Vuillard et d’un pastel de Riopelle. Ces œuvres ont-elles peut-être été fixées ? Que va nous révéler leur exploration ?



Observation d’un pastel de Vuillard



Edouard Vuillard
Place Vintimille. Vue de l’appartement de l’artiste vers 1915
Pastel 31 x 50 cm. Suisse. Collection privée. Photo du collectionneur.
Reproduction extraite du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira



Dans ce pastel primesautier de Vuillard, les superpositions sont bruissements de feuillage, cris d’oiseaux, mouvements de lumières... !

Sur un support de papier bis, dont le coloris d’origine paraît subsister à la base de l’oeuvre, sont essaimées des couches de pastel ténues, superposées, estompées, griffées de vives ponctuations noires de troncs, branches et personnages-branches !

D’alertes touches évocatrices déclinent le fond de la composition : apparences d’immeubles, valeurs bleutées, coin de ciel bleu, perspective ensoleillée…
Au premier plan, la place, mirage de lumière ocre jaune, auréolée d’impacts de pastel blanc comme neige, à reflets nacrés, engendrés par les sous-couches, est scandée de silhouettes d’arbres.

La substance de l’arrière-plan nourrit la bruissante frondaison de l’arbre central, au tronc hiératique. On devine, à travers le feuillage, les échos de la trame de fond sous une couche de pastel vert inégalement étalé, structuré de quelques touches musicales noires, dont une virevoltant sur un aplat lumineux de jaune venu effleurer le vert.
Ou bien encore, à la cime de l’arbre, le vert clairsemé de la frondaison laisserait-il remonter, au travers du feuillage, le grain de la trame du papier ?

L’arbre à gauche, du haut de son tronc de Christ en croix, semble surgir en lévitation d’une efflorescence floue, ocre jaune et vert estompés.

L’arbre à droite marche. Son faîte est devenu opaque comme velours d’avoir été frotté de pastel vert, puis saupoudré de pastel ocre jaune. La texture des deux superpositions dissimule, mais laisse déceler la charpente d’un lacis veineux sous-jacent.
Des branches noir hirondelle, émergées nues de la frondaison, prolongent la structure du tronc et des basses branches, tracées d’urgence au pastel noir, surlignant parfois le tracé de l’esquisse originelle.

Etant donné la spontanéité de la technique, la légèreté des aplats, les superpositions limitées à 3 couches de pastel, les éléments graphiques incisifs confortant les aplats hâtifs, la palette restreinte, (vert, ocre jaune, bleu, et noir et blanc) les pratiques qui accrochent la poudre au support comme fusion des couleurs ou estompage, une telle économie de moyens suppose une œuvre à l’assise solide ne nécessitant pas a priori la consolidation d’un fixatif.

Plongée dans la lumière fugace de la place comme vue du ciel sur les ailes d’un oiseau ! Peindre avec son saisissement … et le matériau s’adapte !



Observation d’un pastel de Riopelle



Jean-Paul Riopelle
Pastel
Sans titre, 1968. Collection privée. Photo galerie Maeght, Paris
Reproduction extraite du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira




Pour moi, une toile n'est jamais la reproduction d'une image. Ça commence toujours par une sensation vague, l'envie de peindre. Pas d'idée graphique. Le tableau commence où il veut... mais après, tout s'enchaîne. Ça c'est l'essentiel... Riopelle

Cette « sensation vague, l’envie de peindre » évoquée par Riopelle ne serait-elle pas la motivation universelle de l’expression artistique, soit le désir ? A partir de ce « vague » dans lequel on plonge comme dans les vagues, se déclenche l’action, à la fois, de survie et du bonheur indicible de voguer dans l’inconnu. Le matériau fait alors corps avec le nageur qui le travaille à l’instinct dans l’allégresse de l’effort !

« L’essentiel » Riopelle le pratique dans cette œuvre. Son envie de peindre va sécréter tout naturellement sa technique.
Ce pastel touffu, tissé d’un entrecroisement de lignes, donne à toucher la texture chaleureuse d’une tapisserie haute laine et surprend par le côté énigmatique de ses multiples tracés entrelacés. A partir d’un réseau de hachures rayonnantes, précisées sur aplats et frottis légers, s’enroulent, se déroulent, des lignes à main lâchée au pastel diversement ouaté.

L’accumulation contrastée de tracés nonchalants sur la géométrie en dents de scie des hachures, entraîne dans la dynamique d’un monde cinétique de vibrations ondulatoires interpellant des univers multiples : mystère de l’inconscient, circulation sanguine, eau et poissons, luxuriante végétation, pluie d’intempérie et, inscrit dans le fourmillement, comme l’autoportrait du peintre, gravé au trait en grand format, probablement à son insu…!

Vu l’enchevêtrement des lignes, il semblerait que l’oeuvre accumule les couches de pastel, alors que les superpositions sont pleines de soupiraux. Ce sont des ondulations de lignes qui font palpiter la matière et non des aplats.

Toutes ces lignes reposent sur un fond ensemencé de quelques touches de pastel légères faisant corps avec le support papier : un peu d’ocre jaune, des gris bleutés, des repentirs aussi ! Un minimum de matière, jusqu’à laisser entrevoir des plages du support non pastellées.

Une base texturée de la sorte garantit une bonne accroche au pastel à venir. Ainsi les vives hachures acérées imbriquées aux méandres indolents vont-elles bien mordre le papier, et s’éclater les deux graphismes, jouant à celui qui chevauchera l’autre…

Certaines lignes paraissent passées au pastel mouillé ou au pinceau imprégné de poudre de pastel, ce qui produit matière et manière renouvelées, tout en consolidant la fixation de la poudre au support.

En se rencontrant, ces stries s’animent au point de contact, se nourrissent de leur complémentarité. Une ligne jaune clair, en croisant des lignes de couleurs foncées se fait toute transparente au point de chevauchement, une foncée domine de son opacité des lignes claires tout en sertissant les plans lumineux qu’elles produisent, une rouge se perce de sang séché ou de rubis en fonction du croisement avec du sombre ou du jaune…

Et les endroits de repentirs où le pastel est saturé, où il dérape, comme un serpent blanc sur une ombre, ne font qu’ajouter au lyrisme de l’œuvre !




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« J’aurais bien à dire sur le pastel, mais je sais que la réussite d’une œuvre tient à autre chose qu’aux crayons ou au papier d’un artiste. Les recettes sont de bonnes indications pour les peintres, mais le travail matériel n’est qu’un aide secondaire »
(Vianelli, cité dans le journal de Rosalba Carrierra. Publication Alfred Sensier, 1865)
Extrait du livre « Le pastel » de Geneviève Monnier, Edition Skira















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vendredi 5 décembre 2008

Comment superposer les couches de pastel sans les fixer ? (1)

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Réponse aux questions de Leszeck (voir toutes les questions)



3 - Peut-on superposer plusieurs couches sans les fixer, certains artistes expérimentés opèrent de cette manière ?

Au pastel, le mélange des couleurs s’opère directement sur le support. En tant que poudre, les couches de pastel sont naturellement instables. Comment alors optimiser la fixation du pastel au support sans l’aide d’un fixatif ? Voici quelques réflexions autour de l’aspect technique et artistique d’une accroche du pastel non assistée !

1) Aspect technique : l’accroche du pastel au support
- Qualité du support
- Qualité du bâtonnet de pastel
- Travail de la couleur

2) Aspect artistique : la créativité de l’artiste (à suivre dans prochain message)
Observation d’un pastel de Vuillard
Observation d’un pastel de Riopelle


L’accroche du pastel au support

Qualité du support

Le support a une grande importance dans l’œuvre picturale car la façon dont il recueille et assimile la couleur fait partie du bâti de l’œuvre. Dans le cas du pastel, la qualité du support est fondamentale pour la fixation de la fugace poudre.


Support non lisse
Tout support non lisse retient la poudre du pastel : papier, carton, bois, plâtre… Certains supports ont des tramages adaptés à la spécificité du pastel ; texture douce : papier Ingres, papier vergé, Mi-teintes de Canson ; texture rêche : carton « Pastel card » de Sennelier, encollé de poudre de liège.

Un papier aquarelle à grain convient également. La richesse du pigment y est mise en relief, l’aspect laiteux du pastel s’y révèle ainsi que des transparences. Par ailleurs, si le pastel est étalé mouillé, il fait corps avec le support, une fois séché, à l’exception de petits amas de poudre agglomérée qui pourraient se détacher comme boue séchée par endroit.

Préparer le support pour donner plus de mordant. Exemple, enduire la surface d’un papier, de préférence épais, de poudres de marbre liées à une résine ou d’un Gesso prêt à l’emploi, texturé pour le pastel…

Le papier verre extra fin accepte volontiers la charge de plusieurs couches de pastel, au risque de restituer l’excédent de poudre. Un excès de rugosité, ne permet pas toutefois d’obtenir des nuances fines. Sauf, qu’il n’y a pas une vérité en art, mais autant de vérités que d’artistes ! Ainsi, la texture aux douces nuances des pastels de Quentin de la Tour peut-elle prendre appui sur un support enduit de poudre de verre bleu, dont la stabilité, par ailleurs, permettait de conserver sa pérennité à la couleur bleue du fond !


Couleur du support
De laisser par endroit transparaître la couleur originelle du support, engendre une couleur et un éclairage sous-jacent.


Marouflage
Maroufler (coller) l’œuvre au pastel, exécutée sur papier, sur un support rigide ou une toile, en consolide les pigments, mais l’opération est délicate. L’œuvre, une fois marouflée, accepte d’être retravaillée.


Qualité du bâtonnet de pastel

Les bâtonnets de pastel sont composés de pigments, d’une charge, la craie, et d’un liant (une colle, la gomme arabique généralement.) Chaque fabricant a ses propres dosages et secrets de fabrication.

Une part de colle importante consolide le bâtonnet et donne une poudre fine, légère. En revanche, les pigments d’un bâtonnet de pastel à « pulpe » tendre ont une faible quantité de liant, ce qui les rend friables mais dote leur poudre d’une texture couvrante et moelleuse.

Superposer les couches de pastel crescendo, de la plus fine à la plus chargée garantit une bonne tenue des superpositions. Par exemple commencer le travail directement à l’aide de pastel léger, tel Rembrandt de chez Talens ou d’une base avec d’autres médiums : fusain, craie, peinture… Superposer par exemple du pastel Sennelier dont la poudre très pigmentée est couvrante ou le pastel précieux à base de couleurs naturelles, minérales et végétales de l’Artisan Pastellier.
Terminer par des touches de pastel Schmincke, les plus veloutés des pastels et qui n’acceptent pas d’être couverts par d’autres poudres !


Travail de la couleur

La façon d’appréhender le pastel varie à l’infini de l’imagination artistique. Noter que, travaillé à l’économie, couches fines, notations, discrets rehauts, le pastel adhère plus sûrement au support.


Touches variées
L’inconstance de la poudre induit de multiples variations de textures. Superpositions de tracés, couches en aplats, estompe partielle ou totale, pastel insensiblement effacé par endroit, pastel gratté, frotté, humecté, étalé à l’éponge, gommé... Retirer de la couleur à la gomme mie de pain, dont la texture est agglutinante, permet aussi de faire adhérer la couleur résiduelle au support.

En cas d’estompage, veiller à exercer une pression légère pour faire pénétrer la poudre dans les pores du papier, sinon la surface risque de devenir glissante et donc impropre à recevoir de nouveaux apports de pastel. Un estompage délicat fixe la poudre au support, et sans perdre trop de luminosité.

Les contraintes obligent l’artiste à s’ingénier et partant à faire des découvertes. Comme dans tous les arts, c’est la partie obstinée du matériau qui révèle l’artiste à lui-même.


Monochromie
La monochromie évite la saturation des superpositions ! Le passage d’une couleur pure, éventuellement modulée de tonalités, se prête parfaitement à la nature du pastel toujours un peu porteur de l’idée du dessin de par sa substance poudreuse et la richesse de son trait. En outre, les teintes monochromes conservant leur intégrité réfractent la lumière en toute limpidité.
La bichromie ou usage de deux couleurs est, naturellement, bien tolérée par le pastel.












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